L'histoire du tango argentin

Le tango est à la fois une musique et une danse nées à la fin du XIXe siècle, dans la région du Rio de La Plata (l’embouchure de l’Océan Atlantique qui sépare l’Argentine de l’Uruguay). Le tango a émergé dans les faubourgs populaires de Buenos Aires, dans les conventillos où s’entasse à la fin du XIXe siècle la population pauvre d’Argentine.

Le Río de la Plata à la fin du XIXe siècle : un grand melting-pot

Alors que pendant tout le XIXe siècle, le Río de la Plata ne connaît qu'un assez lent développement, celui-ci s'accélère à la fin du siècle, avec la mise en place du commerce agro-alimentaire transatlantique avec l'Europe : viande réfrigérée et congelée venant de l'élevage extensif.

L'arrivée massive des immigrants fait partie fondamentale de ce développement. Le recensement de 1895 compte dans la ville de Buenos Aires 318.361 argentins et 345.493 étrangers. À la fin du XIXe siècle, les trois communautés étrangères à Buenos Aires les plus importantes étaient l'italienne, l'espagnole et la française.à Montevideo en 1806, la municipalité s'énerve contre les "tambos bailes de Negros", "los Negros con el tango", et en 1816, à plusieurs reprises : « Se prohiban dentro de la ciudad los bayles conocidos por el nombre de tangos. »

Mais, avant la fin du XIXe siècle, le tango ne renvoie pas encore à une forme musicale ou dansée définie, mais à des musiques et des danses très diverses, plus au moins ritualisées, pratiquées par les populations afro-américaine.

Genèse du tango dansé

Au tournant du siècle, dans le Río de la Plata, les danses de salon venues d'Europe, mazurka, scottish, valse… subissent l'influence des Noirs. Danses de Blancs, danses de Noirs, habaneras, s'influencent et s'imitent mutuellement.

Parmi elles, Il y a la milonga, qui appartient à cette catégorie de termes au contenu incertain (le terme est aussi d'origine afro-américaine), et qui est aussi à l'origine du tango et dont l'origine se confond avec celui-ci. (Beaucoup d'œuvres intitulées milongas seront rebaptisées plus tard tangos) R. Lynch Ventura écrit à propos de la forme dansée : « Ce sont les compadritos de la ville qui la dansent ; ils l'ont inventée pour se moquer des danses que pratiquent les Noirs dans leurs bals. Elle a la même mesure que la habanera14. » (mesure : croche pointée/ double croche/ croche/ croche).

Scène de candombe, à Montevideo, eau-forte des années 1870.

Michel Plisson écrit :

« Les Noirs [anciens esclaves] empruntent de leurs anciens maîtres les danses de couples que la tradition africaine ignore. Les danses de salons européennes comme la mazurka, la polka se déforment à leur contact car les Noirs les investissent d'éléments culturels qui sont étrangers à ces danses. Le compadrito reprend des Noirs ces formules nouvelles, sans se rendre compte, qu'en se moquant des Noirs, il invente dans la danse des pas nouveaux. Issue des figures du candombe, c'est dans les bas-fonds et les bordels que cette alchimie se produit. »

Il y a une légende qui dit qu'à l'aube du XXe siècle, tango et milonga sont des danses liées aux bordels. Pourtant il y avait un arrêté municipal qui interdisait le bal dans les bordels. Aussi, le métier des bordels n'était pas la danse. Il y a peut-être une confusion entre les bordels, où les services étaient rapides, et les maisons closes, c'est-à-dire les grandes maisons confortables pour les clients riches, avec femmes, musique, nourriture, boisons, jeux de société etc. On dansait dans les maisons closes16.

La même légende suggère qu'il y avait durant cette époque d'immigration massive, un déséquilibre dans la répartition homme/femme ; pourtant la ratio hommes/femme n'était pas loin de moitié et moitié (54 %/46 %). La légende dit aussi que la concurrence est donc rude et, du fait de la rareté des femmes [citation nécessaire] et surtout parce qu'il serait inconvenant pour une jeune femme de quitter seule la maison pour le faire, on s'entraîne souvent à danser entre hommes. Le tout sur fond de nostalgie du pays éloigné, de pauvreté, du désir inassouvi.

Hommes dansant le tango dans une rue de Buenos Aires, pour s'entraîner avant d'aller au bal.

Les accents de cette danse naissante inciteront, à leur tour, les musiciens à modifier les contours de la musique qui accompagne la danse. Dans ces petits orchestres, la guitare et la flûte prédominent, bien avant que ne s'impose progressivement le bandonéon.

Le tango émerge de cette alchimie entre, d'un côté, les Noirs qui métissent leurs danses avec les danses européennes de salon, et de l'autre, les Blancs qui se moquent des Noirs en singeant leurs figures. Le tango dansé présente ainsi à cette époque un aspect provocant et insolent qu'il perdra au fur et à mesure de son ascension sociale. On a l'habitude de nommer souvent ce style originel du tango dansé tango canyengue, pourtant il n'y a pas de sources originales de l'époque qui utilisent cette dénomination. Ce style caractéristique, né tardivement avec l'introduction de la contrebasse et l'arrivée du nègre Thomson dans l'orchestre de Canaro, est encore revendiqué par certains danseurs aujourd'hui. Il est relativement peu pratiqué en bal, mais régulièrement lors de démonstrations.

Pour la musique, Michel Plisson résume ainsi le résultat de ce métissage qu'est le tango :

"On dit que le tango est joué par des italiens qui jouent des airs espagnols, basés sur des rythmes de musique afro-américaine, avec un instrument allemand. "

Le tango, d'essence nomade

Nathalie Clouet, une des pionnières de la renaissance du tango parisien, écrit : « Le tango est une tradition qui se déplace. Cet état déplacé le différencie des folklores pour en faire une culture du voyage. Voyage des immigrants qui écrivent leur roman, pas à pas, dans la ville de Buenos Aires. Ce roman est un livre ouvert à la structure déchirée. Même dans cette ville, les Argentins vivent comme des gens du voyage. Avec un instrument sous le bras ou un air siffloté au coin des lèvres, ils mettent en pratique la théorie du voyage. […] »

Du début du siècle aux années 1930 : des bas-fonds à la bourgeoisie rioplatense en passant… par l'Europe

Cette nouvelle danse inspire à Georges Clemenceau la phrase suivante : « On ne voit que des figures qui s'ennuient et des derrières qui s'amusent. »

Au début du XXe siècle, de nombreux jeunes hommes de bonne famille aimant à s'encanailler et à séduire facilement, vont découvrir le tango. Il leur est cependant impossible de le danser avec les jeunes filles de leur milieu, car immoral aux yeux de leur classe. C'est donc à Paris, lors de leurs voyages initiatiques de jeunes bourgeois, qu'ils initieront la société parisienne, cosmopolite et à l'affût de toutes les nouveautés pour s'égayer, à cette danse des bouges et des tripots. Très vite, le tango va être adopté par la capitale française. Choyé, il acquerra ainsi ses lettres de « bourgeoisie ». C'est grâce à cette aura européenne que le tango se diffusera dans la bonne société argentine et uruguayenne, en retournant ainsi sur ses terres natales.

Cependant en Europe il y avait une forte désapprobation pour cette nouvelle danse; par exemple à Rome, Vittorio Emanuele III de Savoie l'interdit dans les danses du Palais du Quirinal19. De même, l'empereur allemand Guillaume II, le roi de Bavière Louis III et l'empereur austro-hongrois François-Joseph 1er interdirent à leurs officiers en uniforme de danser sur ce nouveau rythme. Dans la capitale autrichienne, il existe notamment des documents démontrant que le tango argentin a été délibérément exclu du programme du 23e bal de la ville de Vienne (année 1920-30)20. Ce n'est que depuis 2017 que le tango argentin est entré dans les danses traditionnelles de Vienne à travers le prestigieux bal de l'université technique de Vienne (Technische Universität Ball)21, qui inclut désormais une milonga chaque année dans son programme.

Après la crise de 1929, le tango originel se démode assez fortement en Europe, et est transformé pour s'intégrer aux danses de salon, aux danses musettes et en tant que danse standard aux danses de compétition, exception faite de la Finlande qui en fera sa danse de salon, le tango finlandais25. Le tango retourne alors principalement sur le Rio de la Plata.

Du début du siècle aux années 1930, la danse évolue et des pas plus complexes apparaissent, pendant que le tempo du tango se ralentit fortement : Des années 1910 où le rythme du tango, rapide, est encore confondu avec celui de la milonga, dans les années 1930, le tempo devient, globalement, le plus lent de toute son histoire. Le tango dansé se pratique alors sur des tangos, des milongas, et des valses. Cette période de l'histoire du tango se nomme la Vieille Garde (Guardia Vieja).

Une légende veut qu'en 1914, le pape Pie X après s'être fait faire une démonstration de tango par un couple de la noblesse romaine afin de constater par lui-même si elle était aussi suspecte qu'on le disait, juge cette danse indécente, la prohibe et conseille de la remplacer par une danse traditionnelle de sa région, la furlane. En réalité, cette histoire est une pure invention d'un journaliste, nommé Carrère, correspondant romain du journal Il Tempo. Reprise ensuite par le journal français L'Illustration du 7 février 1914, cette fausse information avait été associée à un célèbre dessin censé représenter la scène, mais également à une formule restée célèbre : "Si non e vero, e bene trovato."

Avec Carlos Gardel, le tango devient chanté et de ce fait, il évolue en manifestation artistique à part entière à écouter plus qu'à danser.

De 1935 à 1955 : L'âge d'or

Le tempo et le rythme des tangos joués (mais aussi des valses) se ré-accélère un peu (globalement), et se diversifie considérablement. Dans ce processus dynamique de transformation au long des années, nous pouvons trouver certains points de référence. En 1935, l'orchestre de D'arienzo commence à jouer un rythme plus saccadé qui deviendra célèbre pendant tout le siècle. Mais un peu avant, en 1932, Edgardo Donato jouait un rythme dans le même style, par exemple dans son tango El Huracán [archive]. Il est important aussi l'orchestre de Osvaldo Fresedo de 1932 avec son chanteur Roberto Ray qui propose, après son expérience aux États Unis, des orchestrations de grand ampleur et sophistication, comme Rebelde [archive]. Le nouveau style reçu l'approbation des danseurs. De fait, on danse encore aujourd'hui avec certains de ces enregistrements, tandis que les très bons orchestres antérieurs, comme Marcucci, Petrucelli, etc. sont oubliés du circuit milonguero26.

Autre grande découverte de l'époque est la milonga, genre musical inclus par la première fois dans le répertoire des orchestres de tango en 1932-1933.

Parmi les chefs d'orchestre les plus populaires de l'âge d'or, Anibal Troilo, Carlos Di Sarli, et Osvaldo Pugliese sont unanimement appréciés par les danseurs.

Anibal Troilo.

On recense à la fin des années 1940, près de 600 orchestres de tango tournant à plein régime à travers l'Argentine, avec une concentration d'activité sur le grand Buenos Aires (qui compte 5 millions d'habitants au milieu des années 1940)27.

Gustavo Beytelmann, pianiste et compositeur, raconte que le village de son enfance, Venado Tuerto, comptait à l'époque une demi-douzaine d'orchestres tipica, pour moins de 7 000 habitants.

Les clubs sportifs ouvrent leurs terrains, de football, de basket-ball, aux danseurs : Pujol décrit la piste couverte de Boca Juniors accueillant, en 1941, 15 000 couples.

Selon certains collectionneurs de tango, le nombre des enregistrements de Francisco Canaro en tant que chefs d'orchestre - entre les différents orchestres qu'il dirigeait simultanément (Tipica, Quinteto Pirincho) - dépasserait celui de Duke Ellington, ce qui ferait de lui l'artiste ayant enregistré le plus de disques au monde de tous les temps (des milliers d'enregistrement réalisés des années 1910 aux années 1950).

De 1955 aux années 1980 : lent déclin du tango

Différentes causes de ce déclin sont invoquées, dont les principales sont celles-ci :

l'influence de nouvelles musiques sur la jeunesse argentine, notamment le rock 'n' roll, les Beatles, etc. ;

en 1955, débutent en Argentine trois décennies de violences et d'instabilités politiques. Coups d'état militaires, puis sanglante opération Condor contre les militants de gauche, etc. Instabilités auxquelles participent de nombreux criminels nazis réfugiés en Argentine après la Seconde Guerre mondiale. (Le gouvernement argentin de Peron a, pour des raisons plus pragmatiques qu'idéologiques — étant fasciné par la compétence scientifique et technique des Allemands —, accueilli plusieurs milliers de sympathisants nazis dont, selon le journaliste argentin Uki Goñi, près de 300 criminels de guerre nazis28.)

Le tango en Argentine et dans le monde se démode progressivement. Il va sauter une génération…

Depuis les années 1990 : renaissance du tango

Juste après la fin de la dictature en Argentine, le spectacle Tango Argentino est présenté en 1983 dans le cadre du Festival d'automne à Paris au théâtre du Châtelet. Une tournée européenne s'ensuit. Avec ce spectacle, de nombreux Européens, notamment des danseurs contemporains, se rendent compte que le tango est autre chose qu'une simple danse musette. Renouant avec le Rio de la Plata, en voyageant à Buenos Aires ou en invitant des danseurs argentins, ils commencent à apprendre cette danse d'improvisation et à l'enseigner, avec un succès progressif. Cela va stimuler progressivement le tango à Buenos Aires, et le faire renaître de ses cendres. Si, au début des années 1990 rares sont les jeunes dans les milongas de Buenos Aires à le pratiquer, dix ans plus tard c'est l'explosion. Cette série de spectacles Tango Argentino a joué le rôle de « défibrillateur » du tango.

Fondés sur le partage d'une danse improvisée, autorisant l'échange des partenaires, les premiers bals tango apparaissent en France.

Vers la fin des années 1990, le tango (alors dit argentin par opposition au tango musette ou de salon), bien qu'il se développe progressivement en Europe, y est encore une danse underground. Avec les séjours permanents ou successifs de Maestros argentins (Pablo Verón et Teresa Cunha à Paris, Tété (danseur de tango) en Hollande, etc.), le tango se démocratise : partout dans le monde, les milongas et lieux de tango se multiplient. Par exemple, à Paris, entre 1998 et 2001, la fréquence des milongas a quadruplé, passant de quatre soirs par semaine en moyenne, à deux ou trois lieux différents pour danser chaque soir… Après 2001, la progression du tango s'est ralentie.

Le métier de professeur de tango argentin, qui était peu répandu à Buenos Aires avant cette résurgence, se développe alors. Pour bon nombre d'Argentins, la danse tango devient une occasion de réaliser le voyage en Europe, et de vivre de l'enseignement de la danse.texte ici ...

source : wikipedia

L'"abrazo", et même l'"abrazo" bien serré,

était déjà présent dans les danses sociales

à la mode en Europe avant la naissance

du tango. En témoigne ce tableau

d'Auguste Renoir de 1883.